Année : 2023
Dimensions : 79 x 106
Technique : Acrylique sur toile
Extrait du Cahier toilé IV :
Pour nourrir le chapitre « Titre » de la réflexion sur les discours d’escorte, voici le dernier né de ma petite famille de tableaux qui offre un exemple peut-être singulier de jeu entre une toile et son titre.
L’œuvre, en effet, est au moins provisoirement dénommée Un seul dimanche au bord de l’eau. Ce titre se suffit à lui-même et il n’est peut-être pas besoin d’en savoir (ou dire) davantage pour savourer le quelque chose des « jours heureux » que j’ai voulu y instiller.
On ne perdra néanmoins rien, me semble-t-il, à apprendre, si on ne le savait pas déjà, que ce groupe de mots forment l’incipit du second refrain de la chanson Quand on s’promène au bord de l’eau, succès de music-hall que chante Jean Gabin dans le très beau film de Julien Duvivier La belle équipe. Sur cette base, le regardeur pourra imaginairement s’embarquer sur les bords de la Marne, vers Chennevières où le film a été tourné pendant l’été 1936. Partant, il songera peut-être au Front populaire, à ses enthousiasmes, ses espoirs et ses désillusions.
Mais il y a peut-être davantage.
Si le curieux se reporte à la chanson, il y trouvera ce « vers » qui, précédant justement la formule « Un seul dimanche au bord de l’eau », désigne un aspect plutôt sensible de la composition picturale : « Tout est noyé dans le bleu, dans le vert ». Par un tour curieux, le titre se fait le premier commentaire, lors très précis, de l’œuvre.
Mais il y a peut-être davantage.
Si le même curieux, celui-là, un autre, se plaît à revisionner la séquence du film où Gabin, alias Jean, chante cette merveilleuse chanson (cela n’est pas hors de portée puisque ladite séquence est aisément disponible sur youtube), il pourra constater qu’elle se termine, non sans un effet de suspens, sur les élucubrations d’un joyeux drille, l’ami Raymond, qui harangue les noceurs et danse sur le toit de la guinguette avant de choir dans un grand bruit de verre brisé (fin de la séquence). Le malheureux perdra la vie dans le stupide accident et l’éclat du verre est comme le fracas de la porte du malheur puisqu’il ne restera bientôt, de « la belle équipe », que Charles et Jean qui sont amoureux de la même femme, Gina (Viviane Romance)…. Fait rare dans l’industrie du cinéma français, la fin du film a fait l’objet de deux versions, les producteurs ayant exigé de Duvivier une fin plus « optimiste » que celle qu’il avait d’abord filmée et où Jean (Gabin) abattait Charles (Vanel) avant d’être arrêté. Ainsi l’interprétation est-elle ouverte que le tableau saisirait le moment de suspens où le destin hésite.
Elle n’est pas si improbable, cette hypothèse, qu’un ami, à qui j’avais adressé Un seul dimanche sans autre commentaire que la mention d’hommage au film de Duvivier, ne m’ait écrit avec une certaine perspicacité :
« Il règne dans cette œuvre un bel équilibre, lumineux et chaud, qui, effectivement, fait penser à une guinguette qui ferait la sieste avant de s’animer à la tombée du jour. La référence au film de Duvivier est pertinente, film heureux en dépit de sa chute – cette chute que ton image suspend, voire récuse.«
Alors, tableau gai ? tableau triste ? je dirai seulement pour ma part, comme le vieux Bonnard, « Celui qui chante n’est pas toujours heureux »…