Ma transfiguration en Pierrot

Autoportrait 2022

Année : 2022

Dimensions : 250 x 140

Technique : Acrylique et fusain sur toile

Extrait du Cahier toilé III :

« Si le nom de Gilles figure dans le titre de ma toile – alors qu’il a disparu de l’intitulé du Watteau exposé au Louvre -, ce n’est pas par souci de restauration mais parce qu’il est partie intégrante de l’expression “Faire le Gilles” qui constitue le programme-même de mon tableau. En effet, il y va bien pour moi, avec cette toile, de « faire le Gilles » selon les trois sens que recouvre la formule :

a) produire un autoportrait dans la manière de Watteau

b) faire l’idiot

c) fuir

Ces trois sens sont associés dans l’œuvre en ceci qu’il s’agit bien d’un “remix” du tableau de Watteau (sens a), que le personnage central est effectivement un rien grotesque (sens b) et que le tout témoigne d’une irréfragable fuite devant la représentation de soi (sens c). Ainsi, mon Gilles ne serait qu’une nouvelle expérience de l’impossibilité à être picturalement soi. Un autoportrait dont l’artiste aurait l’élégance de se retirer.

A l’origine du travail, une phrase que j’avais risquée dans l’un de mes Cahiers. Elle avançait que, pour que ma peinture monte en caractère, il fallait qu’elle « passe par le corps ». Non sans un brin d’ironie à l’endroit de cette formule légèrement grandiloquente, je décidais naguère de la prendre au pied de la lettre en projetant une toile dans laquelle mon corps, mon vrai corps, s’inscrirait “grandeur nature”. Je ne songeais pas alors au Gilles de Watteau, peintre qu’au demeurant je connais mal et qui ne fait pas partie de mes habitués. Ce n’est qu’une fois effectué le décalque de ma silhouette sur la toile nue que l’analogie m’est apparue. Sans aucun doute la position des mains avait joué dans cette mise en relation lors même que je les avais posées sur mon abdomen dans un simple geste de repos et sans intention particulière. Mais l’important n’est pas là. Il se trouve dans le fait qu’ayant visionné une reproduction du chef-d’œuvre de Watteau,

je fus frappé par sa ressemblance avec un Christ ressuscité tel que le représente communément l’iconographie chrétienne et, singulièrement, pour ce qui est de l’expression du visage, avec le très étonnant tableau, peint par Bramantino en 1490, que l’on peut admirer au Musée Thyssen Bornemisza de Madrid. :

Ce qui, dans cette analogie, me frappait particulièrement, c’est qu’à travers la figure de la Résurrection elle parlait d’un gisant qui se levait, cela même qui était littéralement mon cas entre la position couchée de mon corps dessiné et sa “surrection” dans la verticalité de la toile. Insensiblement, et comme par transitivité, mon auto-portrait fantasmé s’égalait donc à une résurrection : il y avait bien matière à désarroi… Celui-ci s’augmentait d’une très sensible déstabilisation devant le programme d’un auto-portrait. L’idée, en effet, de me représenter me tétanisait. Je ne voyais absolument pas comment m’y prendre, d’autant que la technique picturale du pliage se prêtait très mal à l’opération mimétique et qu’il n’était pas envisageable – c’est le cas de le dire – de recourir au dessin. Il fallait, pour que ce visage puisse “entrer” dans la toile, qu’il fût morcelé et fripé. Aussi bien, contrairement au mode de production habituel des auto-portraits, celui du Gilles n’a-t-il pas été obtenu à l’aide d’une photographie ou d’un miroir mais taillé dans la matière picturale des plis colorés. Cependant, averti de ce que l’essentiel de la ressemblance passerait alors par le regard, je me concentrais sur ce point. L’idée peu à peu se fit jour que la solution résidait dans la figuration d’une dysharmonie, effet que j’obtenais en installant une discohérence dans les yeux, l’un étant comme vu de face et l’autre vu de profil (un procédé couramment pratiqué par Picasso). Ainsi parvins-je à obtenir une ressemblance énigmatique et belle qui, une nouvelle fois, me confrontait à cette “magie de la peinture” qui vous conduit et vous dépossède. »